rêve
Une fuite initiatique
Par eduardus Le 01/11/2020
Je me trouve dans un train figé sur les rails ; les autres voyageurs et moi-mêmes sommes contraints de descendre sur le quai en raison d'une anomalie technique. Une fois à l'extérieur du wagon, je ne rencontre quasiment personne dans la gare. Seul un gigantesque entassement de bagages en tout genre se dresse sur mon chemin. Une femme blonde au regard sévère se hâte de me rejoindre. Il s'agit d'un agent du réseau ferroviaire. Celle-ci m'enjoint à me séparer de mon sac à dos ; j'éconduis sèchement cette harpie friande d'absurdités. Cette dernière tient ensuite des propos injurieux avant de se distinguer par une succession de rires narquois. Je lui signifie que je désapprouve son effronterie ; sous son chapeau violacé, l'étrange femme se crispe encore davantage et m'accuse de lui vouer un mépris sans pareil. Je décide de me précipiter vers elle pour l'effrayer ; elle ne réagit guère. Dans un dernier geste précédant ma fuite, je me retrouve à la bousculer comme un sauvageon. Après une évacuation de la gare déserte au pas de course, je poursuis mon chemin vers l'entrée d'un collège depuis lequel s'étalent des hordes d'adolescents complètement amorphes. Une autoroute se trouve en face de cet établissement de forme rectangulaire et s'allongeant sur plusieurs kilomètres ; il me vient l'idée de dérober une automobile pour quitter ce secteur. Mais je ne perçois aucun véhicule stationné et des officiers de police rôdent dans les environs. Je préfère me dissimuler entre quelques buissons jouxtant la chaussée avant de reprendre le fil de mon aventure à pieds. Je me hisse sur une butte verdoyante que je dévale aussitôt pour atterrir au milieu d'un parking. D'immonbrables véhicules sont garés dans cet espace s'étendant à perte de vue.
Mais je n'ai plus l'intention de m'emparer d'une voiture. En revanche, je constate la présence d'un jeune couple qui s'enlace dans une automobile assez imposante de marque inconnue. Je frappe la vitre du coffre avec férocité pour les effrayer ; le couple est tétanisé. Surtout le jeune homme qui se colle sur son siège avec des yeux écarquillés. Sa compagne redevient vite sereine, et son jeune ami la suit dans cette attitude. Je reprends donc mon expédition. Quelques mètres suffisent pour déboucher sur un nouvel environnement ; je fais irruption dans un vaste campus grouillant d'étudiants flâneurs et d'enseignants accourant dans tous les sens avec des dossiers sous les bras. Ces derniers sont vêtus de manière désuète, avec une vieille chemise brunâtre et une longue cravate grise. Leur regard est emprisonné derrière des lunettes noires d'une taille monstrueuse. Je me faufile à travers un portail entrouvert ; ensuite, je contourne par la gauche un immense bâtiment calqué sur l'architecture néo-classique. Les lieux sont parsemés de décors végétaux, de fontaines lumineuses et de statues antiques s'exhibant avec orgueil. Je ne suis guère surpris de devoir éviter un personnage qui surgit depuis une trappe : c'est un grand métis très svelte qui porte les mêmes vêtements archaïques que le corps enseignant de cette université. Nous nous esquivons tant bien que mal ; au-dessus de ces longues échasses tourmentées, je finis par observer un visage très semblable à celui de Barack Obama (?!). Chacun part de son côté.
Je commence à sentir des difficultés croissantes pour m'avancer ; j'entreprends une ascension en terrain escarpé. Je grimpe même sur une montagne d'une envergure colossale. Je surplombe toute la région depuis son sommet ; des cultures en terrasses sont aménagées sur le flanc de cette proéminence naturelle. Le paysage en haute altitude est cependant très sec et certaines zones ne comportent que des couches de sable sans la moindre trace de végétation. En revanche, les territoires visibles en contre-bas sont luxuriants et préservés du fléau de l'urbanisation. Culminant sur cet espèce de Mont Sinaï, je découvre une cabane à quelques mètres de moi qui s'appuie sur une paroie de roche volcanique. Je pénètre dans ce refuge grossier pour reprendre mes forces. L'intérieur est composé d'un mobilier suranné, d'un tapis usé et d'un vieux lit dans un état correct. Je m'allonge sur ce dernier et je me laisse absorber par le plafond baignant dans la pénombre. La pièce, en effet, ne comporte que deux fenêtres minuscules. J'entends d'étranges grincements. Comme une âme égarée qui trotterait dans le labyrinthe de mon cerveau. Je connais cette entité immatérielle : il s'agit de ma voix intérieure.
Ma seconde conscience est plus stricte que je ne le suis. Mais celle-ci est dotée de pouvoirs surnaturels qui me font défaut. Je lui demande de me venir en aide pour effacer l'ardoise de mes agissements transgressifs de ce jour. Cet Autre Moi semble hésiter avant de considérer ma requête. Il me prévient toutefois qu'il n'est pas en capacité de me faire remonter le temps, qu'il ne saurait remanier le passé à ma guise. Toujours allongé sur le lit, j'essaye de mieux comprendre le sens de sa démarche. Ma seconde conscience explique que j'apparaitrai désormais comme une figure onirique angoissante dans l'esprit de ceux que j'ai oppressé : leur mémoire altérée de la sorte ne leur permettra guère de me croire réel. Réduit à l'état d'illusion cauchemardesque, je n'en reste pas moi-même un être de chair et de sang : il m'est vivement recommandé de ne plus jamais revoir ces victimes m'assimilant à un produit de leur imagination lors d'un mauvais rêve...
Car je prendrais le risque de briser le charme de cette duperie paranormale.
Un rendez-vous médical très original
Par eduardus Le 16/11/2019
Itinéraire onirique
Un rendez-vous médical très original
Après avoir été figé devant des vitraux dans une église obscure, j’entame un dialogue avec un abbé imposant et austère.
Il s’exprime dans une langue parfaitement inconnue. Je suis soudainement téléporté dans un autre secteur. Je me retrouve dans une situation conflictuelle aux côtés d’une poignée de mages aguerris. Nous nous efforçons de lancer des sortilèges contre des hordes de créatures démoniaques plus repoussantes les unes que les autres ! Ce sont d’immenses gargouilles tirées de leur sommeil éternel ; les voilà dans une forme olympique après quelques millénaires de torpeur. Certains de ces monstres sont encore plus intrigants : une variété se distingue par sa très longue taillée combinée à un corps efflanqué recouvert de pustules grisâtres. Leur visage présente des traits asymétriques, avec des yeux ovoïdes carrément surdimensionnés. Me trouvant à l’intersection de deux tunnels dans un entrepôt délabré, je recours alors à un pouvoir surnaturel afin de repousser les différentes vagues d’ennemis infernaux. Il s’agit d’une décharge de lumière mauve. Plus précisément, je peux émettre un déversement de poussières avec une teinte légèrement violacée. Ce don extraordinaire se manifeste grâce à des gestes simples - mais ce sont de vrais courants de fumée irritantes qui se dérobent ainsi des entrailles terrestres sous mon commandement. Hélas, les enchanteurs qui m’accompagnent commencent à essuyer des revers mortels. La pression de la mort devient plus écrasante qu’une pluie de météores. Les survivants réfractaires m’avertissent tout à coup de l’épuisement de ma faculté hors du commun. Ils ne me confient aucun renseignement complémentaire. Quelques secondes plus tard, la plupart d’entre eux s’engouffrent dans une fosse remplie de gargouilles frénétiques. Redoutant cet « assèchement » de mon don, je prends l’initiative de me retirer du front qui se rétrécit comme peau de chagrin.
J’abandonne mes conseillers impuissants à leur sort sans espoir.
Je me précipite dans une direction opposée au lieu de cette bataille désastreuse. Peu à peu, je m’introduis dans un paysage urbain entièrement dévasté, jonché d’immeubles écroulés et de ruines enflammées. Je ne m’en préoccupe guère et je poursuis ma course effrénée. Je fais preuve d’une célérité surhumaine dans mes déplacements. Au moment où je me retourne, je constate qu’une cohorte de démons faméliques me talonne. Mais je parviens à semer ce bataillon des Enfers à mes trousses en dépensant mon énergie subsistante. Sur mon chemin de croix, j’aperçois un garçonnet en plein désarroi dans une rivière de cendre. Je tente de le secourir tant bien que mal. Hélas ! L’enfant s’est volatilisé dès ma première approche. N’insistant pas devant cette illusion pénible, je continue à chercher un abri pour reprendre des forces. Finalement, j’atteins une demeure dont l’entrée semble avoir été littéralement happée par une mâchoire de titan. L’entrée étant obstruée par un monceau de ruines et des débris de la toiture, je pénètre autrement dans cette maison croquée par des dents gigantesques : en effet, j’arrive à rentrer dans un garage attenant qui est presque intact. A l’intérieur de la propriété plus ou moins abandonnée, je vois un long couloir qui se déroule à ma gauche. Cet accès conduit vers une porte en fer forgé. Une autre pièce est visible à ma droite.
Un modeste carreau sur le mur me permet de jeter un coup d’œil à l’extérieur. Je ne vois personne à signaler. Le ciel est sous l’emprise de nuées toxiques qui semblent former une brume de plus en plus opaque. Il ne me faut pas plus de temps pour prendre conscience de la nature des lieux qui m’entourent : je ne me suis pas aventuré dans un pavillon simplement déserté. Non. Cette maison parsemée de moisissures et de coulées de rouilles solidifiées comporte trop de bizarreries. Certes, il y a cette porte de fer… Mais je relève aussi d’autres portes en bois grinçantes plus détériorées qu’un cadavre miteux dans le fond d’un cercueil. Les cloisons sont lacérées par les griffes d’esprits contrariés. Malgré tout, je suis irrésistiblement attiré par cet endroit. Je veux en savoir plus. Mes premières inquiétudes s’envolent vers un autre monde. Pourtant, j’entends des susurrements étouffés et de légers craquements depuis la porte à ma gauche. Interloqué, j’ouvre cette dernière sans aucun réticence. La poignée est très grasse et ronfle comme un gobelin endormi.
Soudainement, deux monstruosités d’un autre âge franchissent se dirigent vers le seuil de cette pièce absorbée par les ténèbres. J’ai heureusement le temps de me reculer pour éviter un contact peu recommandable avec de tels locataires. Les créatures progressent à quatre pattes dans le couloir sans m’accorder le moindre intérêt. Ce sont deux animaux revêtant une allure préhistorique ; elles ressemblent à une espèce de dinosaures, comme des tyrannosaures de moindre gabarit. Leur gueule très prognathe est armée d’une rangée de dents magnifiquement acérées. Me sentant menacé par ces créatures en dépit de leur indifférence, je dégaine un Smith & Wesson et j’appuie à deux reprises sur la détente de ce revolver. Je perce ainsi la boîte crânienne de ces propriétaires atypiques. Puis je m’insinue enfin dans la fameuse pièce plongée dans une obscurité presque totale. Je me faufile jusqu’à une espèce de cage faiblement éclairée, contenant des ossements humains éparpillés avec un soin méticuleux. Des marques suspectes sur des tibias indiquent une dégustation récente. Retournant sur mes pas, je remarque une étagère poussiéreuse dans un coin de la pièce. Je m’accapare une clé noire posée sur ce meuble. Autour de moi, j’entrevois seulement d’autres cellules d’une taille minuscule. Mais j’ai l’intuition que cette clé entre mes doigts ne me donnera accès qu’à la porte en fer au bout du couloir principal.
Je m’y rends en toute hâte pour glisser la clé dans la serrure de cette porte.
A mi-chemin, un homme vêtu d’une épaisse blouse blanche surgit tout à coup devant moi et s’exclame jovialement : « Le bonheur, c’est l’incision ! ». Après m’être plaqué contre le mur pour me soustraire à l’effrayant inconnu, je suis surpris par son inactivité momentanée. Je croise son regard avec fébrilité. Ses yeux jaunes flambent comme des lanternes dans le jardin du Diable. Son visage est décoré de coupures et de cicatrices recouses de façon maladroite. Je me recule d’autant plus lorsque je constate que cet importun détient un petit modèle de tronçonneuse silencieuse. Des spasmes le frappent en permanence et témoignent de ses tendances psychotiques. L’individu porte aussi de longues bottes cirées qui sont maculées de sang frais. Jusqu’alors immobile avec un rictus inepte, le personnage se réveille et semble finalement déterminé à vouloir me déchiqueter. Je presse de nouveau la détente de mon pistolet en ressentant une lourdeur de plus en plus gênante. Les balles que je tire ricochent sur le visage du médecin post-apocalyptique. Je me rue aussitôt vers une pièce voisine sans être pris en chasse par le clinicien douteux. Je me retourne alors vers celui-ci ; il se contente d’arborer un sourire d’une parfaite sérénité… Comme un chirurgien face à son patient sur sa table d’opération.
Fuyant le regard macabre du savant, je me rends compte que j’ai pris place dans un salon assez bien éclairé. Mais encore une fois, je ne suis pas seul. Un bonhomme corpulent trône sur un canapé. Cet anonyme obèse au teint olivâtre est complètement balafré de la tête aux pieds. Une fente sanguinolente apparait au niveau de sa gorge et « arrose » son enveloppe graisseuse. Cette chose jusqu’alors inanimée commence à respirer laborieusement, à un rythme saccadé. Est-il une des proies du médecin… qui devient introuvable. Entendant quelque chose en train de remuer derrière une fenêtre du salon, je me rapproche - en restant sur mes gardes à cause du défunt qui rechigne à nous quitter. A travers la vitre, je vois le médecin décontracté qui arrose des plantes mortes dans une véranda. Sans me l’expliquer, je décide de m’enfoncer toujours plus dans la maison en déverrouillant cette fois-ci la porte de fer. J’explore un nouveau secteur de la demeure. Le couloir se prolonge indéfiniment. Sentant que le désaxé pourrait intervenir de nouveau sans pouvoir l’entendre ni le voir, j’essaye de me cacher. Or, je trouve seulement des armoires encombrées d’affaires diverses autour de moi. Les étagères m’empêchent aussi de rentrer dedans. Je m’avance nerveusement jusque dans une salle de bain. J’accours vers une vieille baignoire pour me dissimuler derrière son rideau de douche. J’ignore si cette cachette s’avérera utile ou bien futile.
J’espère qu’il ne me retrouvera pas.
D.U.
(26/06/2018 pour la version manuscrite, remaniement du texte le 16/11/2019).